Début de week-end ensoleillé sur le parvis de la plus grande gare souterraine d’Europe : Chatelet-Les-Halles. Nous allons à la rencontre d’un homme qui vit depuis plus de 9 mois, loin de sa famille, ses proches ainsi que son pays, la terre qui l’a vu naitre et grandir : la Guinée. C’est après un premier appel manqué, puis un deuxième et enfin troisième que nous avons pu l’avoir à l’heure de notre rencontre. Indication faite, voici un homme déterminé, barbu et souriant, que nous rencontrons, entouré d’autres jeunes guinéens, parlant de la situation socio-politique du pays, une réalité qui lui a d’ailleurs valu son exil forcé en France, laissant derrière lui, son épouse enceinte dont il n’a pas encore vu ni touché le fruit « J’ai quitté la Guinée après le baptême de ma fille qui s’est tenu en mon absence ».
Un exil forcé et risqué
Une difficile traversée entre poussière et des kilomètres à pied dans une brousse jonchée d’arbres et d’animaux sauvages, Abdoulaye Oumou Sow raconte son calvaire d’exil : « Je pouvais marcher pendant des kilomètres en suivant le motard car il n’y a pas de route pouvant nous permettre de rouler à deux sur la moto… il arrivait même qu’approchant des zones dangereuses, mon motard allume des pétards dont le bruit effrayait les singes et gorilles afin de les effrayer pour libérer le passage ». Les animaux sauvages n’étaient pas les seuls obstacles à cette traversée. Les forces de l’ordre aussi effectuaient leurs patrouilles de temps à autre. Mais cela ne semblait pas effrayer sa soif de vérité et de justice. Interrogé sur la nécessité de sa dissimulation « Sous un casque de moto et une bavette », il est catégorique « je n’étais pas couvert pour des raisons de déguisement, mais à cause de la poussière » affirme-t-il.
Mis sur écoute ? « Si Dieu veut quelque chose, ça se fait »
Trêve d’échange, nos amis nous quittent pour d’autres urgences. Nous continuons notre échange dans le métro vers une nouvelle destination dans les rues parisiennes. Pensez-vous que cet échange a pris fin à ce stade ? Bien évidemment que non. On poursuit sur les réelles causes de son départ : « Quand j’ai donné mon téléphone à un ami et qu’il l’a envoyé à la maison, quand ma femme l’a allumé et les gens ont commencé à m’appeler, ils (les militaires NDLR) sont venus à la maison. C’est là que j’ai compris être sur écoute et j’ai donc abandonné ce téléphone pour m’échapper »… Sur les raisons, elles sont vraisemblablement liées aux manifestations que le FNDC a organisé entre autres pour le respect de la charte et le retour rapide à l’ordre constitutionnel. Privé de ce droit, et menacé « On a quitté Labé à 4h du matin, et on est arrivé sur le territoire sénégalais vers 15h à moto ». Face à tous les périples rencontrés dont il s’abstient de décrire la psychose par moment, c’est à Dieu qu’il se remet « Moi je me dis, si Dieu veut quelque chose, ça se fait parce que pour rien au monde tu ne peux échapper ».
« L’exil c’est quelque chose qui te met dans un état de démence »
Depuis sa sortie de la Guinée, c’est en homme libre qu’il mène désormais le combat qu’il a entamé depuis des années. Le numérique et la presse restent son cheval de bataille. Psychologiquement, il affirme que ça lui a « fait du bien de sortir du pays car c’était hyper difficile de vivre ça ». Considérant son exil comme une injustice, avec du recul, il perçoit la situation comme « une accumulation de frustrations » conduisant à un état second « l’exil c’est quelque chose qui te met dans un état de démence si tu ne gères pas les choses avec beaucoup de philosophie ». Silence… Son téléphone sonne, c’est Madame, il répond « Je suis en entretien puis-je te rappeler ? » elle répond « Ok d’accord ». Elle lui envoie dans la foulée une vidéo de sa fille marchant à quatre pattes. Une fille qu’il n’a pas encore vu. Nous montrant cette vidéo, notre conversation se termina avec cette phrase prononcée sous un ton d’amertume et de nostalgie avec dans les yeux, un épais brouillard de larme : « Voici ma fille, elle a 9 mois maintenant et je ne l’ai jamais vu… ».
La rédaction
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