Guinée : affaire Serge Abraham Thaddée vs Hafia FC

Hier 7 janvier M. Thaddée à travers une publication argumentée a dénoncé une usurpation de son  œuvre par le HAFIA FC de Guinée. Il s’agit d’un sujet de droit de la propriété intellectuelle. 

Le droit de la propriété intellectuelle est divisée en deux parties :

1. La propriété littéraire et artistique qui se réduit au droit d’auteur et au droit voisin au droit d’auteur, s’applique aux œuvres de l’esprit considérées par la loi comme étant artistiques. 

Pour être protégée par le droit d’auteur, l’œuvre doit être « originale » c’est-à-dire être « une œuvre qui, dans ses éléments caractéristiques et dans sa forme ou dans sa forme seulement, permet d’individualiser son auteur » (article 2 de la loi du 7 juin 2019 sur la propriété littéraire et artistique). Au regard du même texte de loi, une œuvre de l’esprit va induire toute création qui nécessite un effort intellectuel ou artistique (dessin, musique, vidéo, photo, sculpture, architecture… voir article 7 de la loi).

2. La propriété industrielle  « a pour objet la protection et la valorisation des inventions, des innovations et des créations industrielles ou commerciales. Elle comprend notamment les brevets, les marques, les dessins et modèles industriels, ainsi que les indications géographiques » (définition du site entreprise.gouv.fr)

Dans le cas de Serge Abraham Thaddée, les faits sont les suivants : 

  • Le sieur Thaddée, comme à son habitude, a fait une proposition de modèle sortie de son esprit  pour le Hafia FC dans un cadre artistique et intellectuel.
  • Cette œuvre a été saluée et applaudie par son originalité.
  • Le président du Hafia FC, fasciné par la qualité de son travail l’en a félicité et à proposer qu’ils travaillent ensemble. Il voulait qu’ils discutent des conditions de cession du design (qu’on appellera dessin ou modèle) mais aussi d’autres sujets.
  • Dans ce cadre, M. Thaddée a été mis en contact avec un membre de l’entourage de KPC en attendant le retour de ce dernier. Finalement tout a été soudainement suspendu.
  • Puis, il y a quelques jours, le sieur Thaddée découvre que les éléments fondamentaux et identitaires de son œuvre ont été utilisés par le Hafia FC sans qu’aucun acte de cession de droit n’ait été conclu entre les parties.
  • En conséquence, le sieur Thaddée décide de dénoncer cette usurpation. 
  • Finalement, Monsieur KPC, à travers son compte, lui donne raison et avoue la forfaiture. 

Au regard de ces faits, plusieurs réactions et plusieurs constats sont à noter : 

  1. Certaines personnes affirment que le travail de M. Thaddée n’est pas une œuvre. Est-ce- vrai ?
  2. Des réactions soutiennent que le travail de M. Thaddée est soumis au droit de la propriété industrielle et non à la propriété artistique et qu’une formalité est requise pour que le sieur Thaddée puisse jouir de droit sur son œuvre. Est-ce vrai ?
  3. D’aucuns affirment que la publication d’une œuvre sur Facebook prive de tout droit car l’œuvre, selon eux tombent dans « le domaine public » et  peut être librement utilisé par tout le monde sans crainte de violation du droit d’auteur sauf certification Facebook. Est-ce vrai ?
  4. D’autres encore soutiennent que les logos du Hafia FC sont protégés par le droit de la marque sans préciser le rapport qu’ils font entre leur affirmation et le cas Thaddée. Nous partirons du principe qu’ils pensent que M. Thaddée n’a pas le droit d’utiliser le logo du Hafia FC dans un cadre artistique. Est-ce vrai ?
  5. Comment traiter le commentaire du compte de Monsieur KPC ? 
  6. Quels sont les risques encourus par le Hafia FC et donc, quels sont les droits du sieur Thaddée ?

Répondons successivement à chacune de ces questions.

  • Le travail de monsieur Thaddée est-il une œuvre ?

Réponse : Selon l’article 2 et l’article 7 de la loi du 7 juin 2019 mentionnée plus haut, le travail de M. Thaddée rendu public sur Facebook le 3 juillet 2022 est bien une œuvre.

Notons néanmoins que la détermination du caractère original d’une œuvre revient au juge qui se fondera sur certains critères pour effectuer un examen méticuleux. La notion d’originalité pouvant faire l’objet d’un article entier, contentons nous de dire que sa constatation par le juge peut varier selon la nature de l’œuvre. Dans tous les cas, l’originalité a pu être comprise au gré de l’évolution comme étant

  • l’empreinte de la personnalité de l’auteur
  • un effort personnalisé ou un effort de création
  • Un apport intellectuel correspondant à un choix personnel et arbitraire de l’auteur.

L’œuvre de M. Thaddée est-elle soumise au droit de la propriété artistique ou industrielle ?

Réponse : les dessins et modèles bénéficient d’une double protection à savoir la protection au titre du droit d’auteur et la protection au titre de la propriété industrielle.

  • Au titre du droit d’auteur, une œuvre est protégée dès sa création sans qu’aucune formalité ne soit requise ni aucune publicité (article 3 de la loi du 7 juin 2019 précitée).  Les droits de l’auteur d’une œuvre naissent donc dès la création de l’œuvre et subsistent durant toute sa vie et 70 ans après sa mort. Et certains droits moraux sont perpétuels.
  • Au titre de la propriété industrielle, la Guinée est membre de l’OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle) dont l’analogue en Afrique est l’OAPI (Organisation Africaine de la propriété intellectuelle créée par l’accord de Bangui). En Guinée, l’OAPI est incarnée par le SPI (le service de la propriété industrielle). 

L’annexe 4 de l’accord de Bangui instituant l’OAPI protège les dessins et modèles et dispose en son article 2 que le qualification de dessin industriel s’applique à tout « dessin nouveau, à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle ». 

Par conséquent, en Guinée, les dessins et modèles bénéficient d’une double protection comme c’est le cas dans d’autres pays comme la France.

Conclusion : A cet égard, le travail de Monsieur Thaddée pourra est bien une œuvre qui est protégée au titre de la propriété artistique et il n’a aucun besoin de réaliser une formalité pour bénéficier des droits découlant de cette protection. Et pour bénéficier de la propriété industrielle, qui n’est pas obligatoire, M. Thaddée peut respecter la procédure d’enregistrement de l’OAPI s’il le souhaite.

La publication d’une œuvre sur Facebook prive-t-elle de droit son auteur ? 

Faut-il une certification pour préserver son droit d’auteur sur FB ? Une œuvre tombe-t-elle par simple publication dans « le domaine public » comme l’affirment certains ?

Réponses :

La publication d’une œuvre sur Facebook ne prive pas du droit d’auteur et il ne faut pas de certification de page pour en bénéficier.

Tout d’abord, Facebook n’est qu’une voie de communication d’une œuvre et les conditions d’utilisation de Facebook ne priment pas sur les lois impératives des Etats. En outre, publier des travaux sur internet, peu importe l’espace internet, ne signifie pas que ces travaux sont libres de droit  et que chacun peut faire ce qu’il veut des efforts d’autrui. 

Même si internet est une source d’information et de contenus illimités, lorsqu’on n’est pas l’auteur d’une chose, on ne se l’approprie pas et on respecte les lois sur la propriété intellectuelle.

Par ailleurs, Facebook a une politique de protection du droit d’auteur qui tient compte des disparités législatives des différents pays sur la question. Sur sa page d’aide, Facebook met à disposition des solutions pour protéger le droit d’auteur et la certification n’est pas une condition pour se prévaloir du droit d’auteur. Le droit d’auteur est autonome et Facebook s’adapte aux normes des pays en mettant à disposition des solutions de protection du droit d’auteur.  Cette page d’aide est disponible ici : https://www.facebook.com/help/1020633957973118

Une œuvre ne tombe pas dans le domaine public du simple fait de sa publication.

Précisons que la notion de « domaine public » au sens du droit est particulière selon les matières. Elle ne signifiera pas la même chose en propriété intellectuelle et en droit de la domanialité publique et privée. 

En propriété intellectuelle, le domaine public indique qu’une œuvre n’est plus régie par le droit d’auteur et qu’il y a une liberté d’utilisation. Pour que cette liberté d’utilisation sans crainte de violation du droit d’auteur entre en jeu, il faut attendre au moins 70 ans à compter de la mort de l’auteur tout en gardant à l’esprit que ce délai peut être plus long dans certains cas exceptionnels.

L’utilisation d’un logo ou d’une marque dûment protégée par le droit des marques prive-t-il de son utilisation dans le cadre artistique ? 

En l’occurrence, l’enregistrement d’une marque conformément aux textes de l’accord de Bangui fondant l’OAPI crée un droit privatif pour le propriétaire de la marque. On ne peut pas utiliser un logo ou une marque déposée sur ses produits commerciaux ou industriels. 

Le dépôt de la marque crée un droit exclusif au profit de son propriétaire. Il est interdit d’utiliser une marque déposée ou de la reproduire notamment à des fins commerciales.

Cette interdiction opère uniquement lorsque l’utilisation crée une confusion dans la tête du public avec le produit du propriétaire de la marque et que l’usage de la marque est fait pour une activité économique qui porte sur des produits identiques ou similaires à ceux du propriétaire de la marque déposée. 

Dans ce cas, il s’agit d’un délit de contrefaçon qui en Guinée, couvre également le domaine artistique (art 116, 117 de la loi du 7 juin 2019 sur la propriété littéraire et artistique) et qui est sanctionnée par des peines de prison et d’amendes sans préjudice des dommages et intérêts pouvant être versés à l’auteur (art 118 de la loi du 7 juin 2019 sur la propriété littéraire et artistique).

Toutefois, le droit de la marque est limité par la liberté artistique, la liberté d’expression… A cet égard, les artistes ont le droit d’utiliser un logo d’une marque pour les besoins de leur art. 

Dans certaines affaires internationales, il a par exemple été admis par les juges que « utiliser le logo de dolce et Gabbana sur un t-shirt d’un personnage du film camping-car était licite en ce que ça permettait de décrire les caractères du personnage »

Utiliser une marque déposée pour faire de la caricature ou de la parodie est légal.

Pareillement, il est légal d’utiliser des marques déposées pour faire d’autres œuvres artistiques, des illustrations… tant que cela ne porte pas atteinte aux intérêts de la marque et qu’il n’y a pas de confusion dans la tête du public. 

En l’espèce, il s’agit d’une œuvre artistique, applaudie par le propriétaire de la présumée marque déposée Hafia FC qui a d’ailleurs fait des propositions dans le sens d’une acquisition.

Par conséquent, Monsieur Thaddée ne contrevient à aucune règle en utilisant des logos de club pour ses designs tant qu’il ne les commercialise pas par exemple. 

Les artistes ont le droit d’utiliser des logos et marques déposées pour les besoins de leurs œuvres.

Comment traiter le commentaire du compte de M. KPC qui a répondu sur les réseaux sociaux en admettant la faute ? 

Réponse : Humainement, il a fait preuve de bonne foi en admettant la faute commise par son équipe. Mais juridiquement, c’est un aveu et il vient de confirmer qu’il a bien conscience de l’infraction. Se faisant, il facilite l’administration de la preuve de l’antériorité de l’œuvre de M. Thaddée. 

Seulement, comme il s’agit d’un compte de page Facebook, l’on peut supposer qu’il peut s’agir d’un membre de son équipe de community manager. Cette hypothèse ne change toutefois rien au fait que le Hafia FC a bien attenté aux droits de M. Thaddée, qu’ils l’admettent eux-mêmes ou non. 

  • Que conclure ?

Réponse : en conclusion : 

  • Le travail de monsieur Thaddée peut être considéré comme étant une œuvre protégée par le droit d’auteur. 
  • Reproduire, éditer, imprimer, graver, adapter, traduire… tout ou partie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est une contrefaçon (art 116 et 117 de la loi du 7 juin 2019) et cela est sanctionnée par la loi jusqu’à 10 millions d’amende (art 118 de la loi précitée) sans préjudice de dommages et intérêts.
  • Toute victime de violation de droit d’auteur a droit à réparation. A cet égard, M. Thaddée a droit à réparation et l’assiette de cette réparation peut être extrêmement lourde.

NB : Cet article utilise une approche pragmatique et simple et à une mission de vulgarisation et d’information. A cet égard, certaines subtilités sont volontairement écartées. Pour aller plus loin, consultez nos sources et restez à l’affut de nos prochaines publications sur Facebook, YouTube, Instagram, LinkedIn et Twitter.

Kankou FOFANA, juriste fondatrice du média de droit, « droit accessible »

SOURCES 

– Loi du 7 juin 2019 portant propriét littéraire et artistique (guinée) : art 2, 3, 7, 116, 117, 118  (essentiellement mais toute la loi compte) 

– Accord de bangui de 1977 créant l’OAPI (Annexe 3 des marques de produits et de service et  annexe 4 des dessins et modèles) 

– Sur l’affaire dolce & gabbana : TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 10 nov. 2011, n° 10/09164. Lire en  ligne : https://www.doctrine.fr/d/TGI/Paris/2011/FR54270378E438749AB14C ou cet extrait  qui dit : « Par ailleurs, les sociétés productrices n’ont pas cherché à s’approprier la notoriété  des marques mais celles-ci ont été utilisées uniquement pour caractériser visuellement une  personne à travers le choix de ses vêtements. Enfin, dès lors que la reproduction ou l’imitation  des marques n’est pas fautive la reprise de leur graphisme et de leurs couleurs habituels qui  renforcent le lien avec ces marques, ne peut non plus être fautive. L’ensemble des demandes  des sociétés Gado et Dolce & Gabbana seront donc rejetées ». 

– Livre « droit de la propriété intellectuelle et industrielle – droit d’auteur, brevet, droits voisins,  marque, dessins et modèles », Nicolas Binctin, 7ème édition ;