À quand un corps de griots fonctionnaires d’État ? (Par Facinet Kabèlè Camara)

À l’heure où il faut plus que jamais préserver notre patrimoine culturel immatériel qui se meurt, faire du griot traditionnaliste un agent au sein de la fonction publique d’État pourrait être une solution pour redynamiser tout le secteur de la culture et de l’éducation.

Qu’on l’appelle Djéli, farba ou encore Guewel, la fonction de griot était l’une des plus importantes des sociétés traditionnelles ouest-africaines qui composaient l’empire mandingue. Conteur hors pair, maître dans l’art oratoire, flanqué d’un instrument de musique ou faisant simplement usage de sa belle voix, le griot éduque, conseille, chante, divertit depuis des siècles. Il est gardien de la tradition orale et dépositaire des grands récits généalogiques, de l’histoire des peuples et de la mémoire collective.  À ce titre, le griot avait un rôle de conseiller politique auprès des rois, de médiateur entre les individus, les familles, les clans, d’agent diplomatique entre les royaumes et empires. Des griots traditionnalistes comme Mamadou Kouyaté et Wa Kamissoko permirent la transcription d’épisodes historiques majeurs comme l’épopée du Mandingue et la Charte du Mandé inscrite depuis 2009 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Toutefois, avec le bouleversement des structures socio-politiques et l’expansion de l’écriture, la place du griot a progressivement décliné dans nos États post-coloniaux pour se réduire à une portion congrue : celle de l’artiste indigent survivant grâce à l’aumône de quelques bienfaiteurs dont il chante les louanges aux mariages et autres cérémonies populaires. 

Or, dans des sociétés où la légitimité des institutions héritées de la période coloniale se pose chaque jour, le griot pourrait jouer à nouveau un rôle central en intégrant les structures administratives qui gouvernent désormais nos sociétés en tant que « fonctionnaire d’État ». Créé par la loi, ce nouveau corps de fonctionnaires d’État serait composé d’hommes et de femmes qui reprendraient, dans un cadre institutionnel moderne, les fonctions éducatives, diplomatiques et musicales du griot. La fonction éducative d’abord, les griots d’État feraient la tournée des écoles pour expliquer en musique aux élèves l’histoire et le rôle social de leur corporation millénaire, l’illustre épopée des grands personnages de notre histoire, l’enchevêtrement des liens ethniques pour favoriser le vivre ensemble et l’art de la poésie en langues nationales pour revivifier ces langues.

 Ces rencontres seraient inscrites dans le programme scolaire national comme jadis la radio à manivelle. Son contenu serait harmonisé avec les cours d’histoire et d’instruction civique. La fonction diplomatique ensuite, le corps de griots serait un outil de soft power conséquent pour redynamiser le secteur moribond de la culture classique. Les griots d’État feraient des représentations à l’ouverture des cérémonies officielles, dîners d’État, accueil de personnalités politiques étrangères pour faire montre de la richesse culturelle locale. La fonction musicale enfin, en lien avec les deux premières fonctions, les griots d’État seraient des ambassadeurs du patrimoine musical qu’ils seraient chargés de prospecter, répertorier et de mettre en valeur. Par exemple, le griot Sory Kandia Kouyaté fût ambassadeur musical de la révolution guinéenne aux Nations-Unies et médiateur politique en usant de son art.  

Comme tout corps de fonctionnaires, les griots et les griottes d’État devront se soumettre à un concours de recrutement exigeant et suivre un parcours de formation. Ils devront être au minimum titulaire du baccalauréat. Maîtriser le répertoire musical traditionnel de tous les groupes ethniques et savoir en faire l’exégèse complet en français : des panégyriques ou faasa de Soundjata Keïta, Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Kèmè Bourama, aux hymnes à la bravoure (Duga, cédo, Janjon) à l’amour (Diarabi, nanybali), à l’amitié (Malissadio) ou encore à la modestie (Mansane cissé) etc. tous porteurs de nombreuses leçons de morales. Apprendre l’art des principaux instruments de musique traditionnelle (flûte pastorale, djembé, Kora, tama, etc.). Des lieux pour perfectionner l’art du griot ont toujours existé comme Kèla (actuel Mali) ou Niagassola (actuelle Guinée) où se transmettaient ce savoir ancestral aux jeunes générations. 

Pour consacrer le caractère institutionnel de leur fonction, les griots et griottes d’État devront être soumis à des règles statutaires strictes : servir exclusivement la république et non les individus, interdiction de participer à des manifestations populaires en dehors de celles prévues par leur statut, avoir un salaire décent et pour le reste, être soumis aux mêmes règles que les autres corps de fonctionnaires de l’État. Dans un pays comme la Guinée où ils existent des milliers de fonctionnaires fictifs payés par l’État, les remplacer par une centaine de griots d’État constitue une expérimentation qui vaut le coup.  

 

Facinet Kabèlè Camara