Un Décret du Président de la Transition entaché d’illégalité ? (Par Baïla Amadou TRAORE)

Le Décret D/2023/0179/PRG/CNRD/SGG/ portant missions et organisation des Conseils de quartier et de district, lu à la RTG le 9 août 2023 (le « Décret ») continue de défrayer la chronique dans la cité, essentiellement en raison de ses potentielles conséquences et visées politiques.

En effet le Décret modifie les modalités de désignation et de nomination des membres et des Présidents des Conseils de quartiers et districts qui étaient régies jusqu’ici par la Loi organique N° L/2017/N°039/AN du 24 février 2017 portant code électoral révisé, en date du 24 février 2017 (le « Code Electoral »). Il convient de rappeler que ces modalités avaient été largement critiquées par une partie de la classe politique et de la société civile. L’adoption par l’Assemblée Nationale d’alors de ces dispositions symbolisait à l’époque, aux yeux de ceux qui les critiquaient, la capacité des farouches adversaires qu’étaient le RPG et l’UFDG, de devenir des alliés objectifs, lorsqu’il s’agissait de défendre leurs intérêts pour assurer leur suprématie sur les autres partis politiques.

Ces considérations politiques ne feront pas l’objet d’analyse à ce stade. Nous allons plutôt nous attarder sur la forme (légalité de l’acte) plutôt que le fond (aspects et visées politiques) de ce Décret qui pose manifestement problème.

Quelques remarques préliminaires :

Notons tout d’abord que cette analyse est basée sur la transcription du Décret lu à la RTG. Il est important de noter qu’à ce stade, ce Décret n’est pas encore publié au Journal Officiel (JO) de la République. La précision vaut son pesant d’or car dans notre pays, il est déjà arrivé que des lois, y compris la Constitution, aient des versions différentes entre le moment de leur adoption et celui de leur publication au J.O. Or c’est la version publiée au J.O qui est opposable aux citoyens.

Rappelons ensuite qu’il ressort de la lecture combinée des dispositions combinées de l’Ordonnance N°2021/001/PRG/CNRD/SGG du 16 Septembre 2021, portant prorogation des Lois Nationales, des Conventions, Traités et Accords Internationaux en vigueur à la date du 05 Septembre 2021, et de l’article 81 de la Charte de la Transition, que toutes les dispositions législatives et réglementaires non expressément abrogées demeurent en vigueur, y compris le Code Electoral, le Code Civil et le Code des Collectivités Locales.

Enfin rappelons que tous les étudiants en droit et juristes connaissent le principe de la hiérarchie des normes, qui est matérialisé en droit positif guinéen par l’alinéa 6 de l’article 9 du Code civil qui dispose que : « Les lois prises au sens large obéissent à la hiérarchie suivante, dans l’ordre décroissant d’importance :  Constitution ; les conventions, accords et traités internationaux ; la loi ; l’ordonnance ; le décret ; les arrêtés, les décisions ; […] ». En raison de ce principe, les lois et règlements ne peuvent abroger que des textes ayant même valeur dans l’ordonnancement juridique. Et ce principe s’applique y compris sur les textes tombés en désuétude ou jamais appliqués.

Pourtant, nous constatons, à la lecture du Décret du Président de la Transition, que certaines de ses dispositions sont clairement contraires à ce que prévoit le Code Electoral.

La désignation et nomination des membres et Présidents des conseils de Quartiers :  

Conformément aux alinéas 4 et 5 de l’article 99 du Code Electoral en vigueur, la désignation des présidents des conseils de quartiers revient à « l’entité dont la liste est arrivée en tête, au scrutin communal, dans ledit District ou Quartier », tandis que la répartition des sièges de membres est « faite au prorata des résultats obtenus dans les Districts et Quartiers par les listes de candidature à l’élection communale. ». Cette désignation est ensuite entérinée par arrêté du Maire de la commune concernée après que les entités concernées ont déposé auprès de celui-ci les listes des personnes concernées dans un délai de quinze jours suivant la proclamation définitive des résultats par la CENI, conformément à l’article 104 du Code Electoral.

Or, au regard de l’article 7 du Décret du Président de la Transition, dorénavant les Présidents et les membres des Conseils de quartiers seront nommés par « décision administrative du gouverneur ». Par ailleurs le Décret ne précise pas l’autorité qui désignera les membres des Conseils avant qu’ils ne soient nommés par le Gouverneur. Le Gouverneur lui-même, le Ministère de l’Administration du Territoire et de la décentralisation (MATD) ou une commission spéciale ?  Le Décret se borne en effet à énoncer les critères que doivent remplir les membres de ces Conseils et les composantes sociales desquelles ils doivent être issus. Le MATD étant chargé de l’application du Décret conformément à son article 11, pourra sans doute préciser dans un texte d’application qui sera chargé de désigner ces membres et comment cela se fera dans la pratique.

Les critères pour être membres et présidents des conseils de quartiers et de districts :

L’autre contradiction entre le Décret et le Code Electoral se trouve dans les critères établis par les deux textes pour être membres et présidents des Conseils de quartier ou de district.

En effet, l’alinéa premier de l’article 103 du Code Electoral pose seulement deux conditions cumulatives pour pouvoir être désigné membre du Conseil de quartier ou de district : (i) jouir de ses droits civils et politiques et (ii) avoir sa résidence principale dans le district ou le quartier depuis douze mois au moins. L’alinéa 2 du même article pose également deux conditions cumulatives pour pouvoir être Président de Conseil de quartier ou de district : (i) avoir résidé au moins deux ans dans ledit quartier ou district et (ii) avoir un casier vierge. 

Le Décret en son article 8 maintient la condition de résidence comme critère que doivent remplir les membres des Conseils de quartier ou de district mais porte le délai de résidence requis à dix ans au lieu d’un an prévu par le Code Electoral pour être membre et deux ans pour être président.

En plus de ce critère le décret pose les huit critères additionnels suivants :  (i) Être de nationalité guinéenne et âgé au moins de 21 ans ; (ii) Avoir son domicile principal dans le quartier ou districts ; (iii) Savoir lire et écrire en français ; (iv) Avoir des capacités physiques et mentales ; (v) Avoir une bonne capacité de communication et d’écoute ; (vi) Être disponible et avoir la maîtrise des limites territoriales de quartier ou de district ; (vii) N’avoir pas été déchu de ses droits civiques par une décision de justice ; (viii) Être reconnu pour son implication dans le développement économique et social de la localité.

Ainsi il ressort de ce qui précède que plusieurs dispositions du Décret sont contraires au Code Electoral qui est, faut-il le rappeler, une Loi Organique. Quel recours pour les citoyens et entités concernés pour remettre éventuellement en question la légalité de ce décret ?

Quel sort pour ce Décret :

La meilleure méthode (juridique et démocratique) pour modifier les modalités de désignation et de nomination des membres et présidents de Conseils de Quartiers et de Districts aurait été de faire adopter une loi modificative par le Conseil National de Transition. En procédant ainsi, les autorités de Transition auraient d’une part respecté le principe de la hiérarchie des normes et d’autre part, permis aux représentants des différentes couches de la société intéressées, notamment les partis politiques et la société civile, de se prononcer sur le sujet dans un cadre ouvert au débat.

Certains partis politiques ont déjà annoncé vouloir attaquer ce Décret. Quels sont les recours appropriés ? Des possibilités sont données aux citoyens de contester la légalité d’un acte des autorités administratives devant la Cour Suprême, soit en passant par le recours pour excès de pouvoir (Article 88 et suivant de la Loi sur la Cour Suprême) ou encore le recours incident en appréciation de validité d’un acte ou d’une décision des autorités exécutives qui est possible lorsque le citoyen est heurté par une instance à un acte qu’il estime entaché d’illégalité (Article 98 et suivants de la Loi sur la Cour Suprême). Ces recours pourront-ils été jugés recevable par la Cour suprême notamment au regard de l’intérêt et de la qualité à agir des requérants qui devront prouver, sachant que les chefs de quartiers en place aujourd’hui, n’ont pas été nommés et désignés conformément au Code Electoral en vigueur ? La question reste posée.

Baïla Amadou TRAOREJuriste, Chroniqueur