La Cargaison : une pièce de théâtre de Soulay Thiâ’nguel fait carton plein à Paris

Suite à la contestation d’octobre 2019 dans la capitale guinéenne, Souleymane BAH a évoqué dans deux spectacles vivants les 18 et 19 novembre à Paris la mort de onze jeunes, abattus par les forces de l’ordre. Alors que l’opposition veut les transformer en martyrs, le gouvernement veut les dissimuler.

Salle quasi comble, public mosaïque, standing ovation, émotions, voilà quelques termes qui décrivent cette soirée du 19 novembre 2022 dans le 20è arrondissement parisien en marge de la représentation scénique de la pièce de théâtre intitulée « LA CARGAISON ».

« Un problème universel »

Des paroles fortes, une expression corporelle bien travaillée par un trio de comédiens polyvalents, un cocktail à la taille du texte écrit par le guinéen Souleymane BAH (Soulay Thiâ’nguel), prix RFI théâtre 2020 pour lui, « C’est l’histoire universelle de gens qui se battent pour leur liberté. La pièce met en avant la volonté des uns d’accéder au pouvoir et la volonté des autres de se maintenir au pouvoir quelque soit la manière ». Pour comprendre la nécessité d’écrire un tel texte, Thiâ’nguel qui n’a pas pu retenir ses larmes à la fin du spectacle nous plonge dans les temps où il faisait encore de la politique au sein de l’UFDG en tant que chargé de communication du parti. C’est entre plusieurs échanges que parlant des corps sans vie de manifestants, il entendit « Gardez-les même s’ils pourrissent ». Analysant cette expression qui retentit encore comme un écho en lui, il en déduit que « Les corps étaient devenus des marchandises, des colis dont tout le monde ne se souciait pas mal de la date de péremption ».

Interrogé, Petit Tonton, l’un des comédiens revient sur la nécessité de présenter ce spectacle devant un public étranger et le rôle de chacun « La pièce que nous avons représenté dénonce un problème universel. On l’a vu avec les gilets jaunes, Georges Floyd, le jeune Traoré en France etc… On parle de la dictature, des manipulations… On a plusieurs personnages interprétés par 3 comédiens : la balle, les autorités, les sous autorités, les gardiens des morgues, Dieu… » 

Cette pièce dont le travail a pris 6 semaines, a offert un contenu riche en émotions. Kabèlè, l’un des spectateurs s’exprime à ce sujet « Le texte est bien écrit et que ce soit aux morts qu’on donne la parole, ça sort de l’ordinaire et ça provoque des émotions. Je suis content que ces morts là qui sont pratiquement partis, qu’on leur rende hommage en spectacle sur scène »

« Je n’ai jamais vu un politicien dehors avec son enfant pour marcher »

Khady Diop artiste chanteuse et l’unique comédienne sur scène ce soir qui était d’ailleurs à son quatrième spectacle avec Thiâ’nguel n’est pas passée inaperçue. Difficile de différencier la chanteuse à la voix suave de la comédienne, elle explique cela par un concours de circonstances :  « On a profité du fait que je pouvais chanter » . Plus loin, parlant du rôle de la balle meurtrière qu’elle a aussi incarné, elle situe des responsabilités « On a donné l’occasion à une balle de dire réellement ce qu’elle ressent… On est dans un pays où on ne connait pas la démocratie. Si c’était dans d’autres pays où la marche est bien sécurisée… Mais ici quand on manifeste c’est le citoyen qui est dehors… je n’ai jamais vu un politicien dehors avec son enfant pour marcher »

« Ce n’est pas moi qui suis grossier, c’est la réalité qui est grossière »

A peine ce spectacle clos que Soulay Thiâ’nguel se projette vers le futur avec la rédaction d’une nouvelle pièce de théâtre « Que Dieu bénisse le bâtard ». Friand des sujets d’intérêt général, il nous donne un bref aperçu de projet : « c’est un texte qui parle des albinos, toujours autour des questions sociales ».

Rassurez-vous, l’usage du mot « bâtard » n’est pas grossier. Il s’en justifie d’ailleurs « Ce n’est pas moi qui suis grossier, c’est la réalité qui est grossière. Moi je ne fais que dire la réalité. Maintenant si les gens ne sont pas capables de se regarder dans le miroir, moi je vais leur montrer le miroir. Le jour où la vie et la société ne seront plus grossières, je sais qu’instinctivement, je changerai. Mais en attendant, je sais que ça n’arrivera pas, je fais le choix de faire de la satire et je me plais bien dedans. »

En attendant ce projet, il n’est pas exclu que le spectacle soit présenté devant les autorités guinéennes car Thiâ’nguel a déjà anticipé « J’ai proposé au porte parole du gouvernement que la pièce soit jouée en Guinée et que dans le public qu’il y ait les gens de Bambéto, des journalistes, des autorités, des politiques etc… »