Des quartiers parisiens au Festival de Cannes : « Dès le collège, je savais qu’il fallait bosser deux fois plus pour réussir »

Chaque week-end, nous allons à la rencontre d'une personne et d'un métier. C'est à des milliers de kilomètres que l'interview d’aujourd’hui s'est réalisée avec celle qui veut tout simplement être la "Aicha Diaby" du cinéma. Je vous informe que c'est un long voyage, donc évadez vous entre ces lignes car c'est fait à dessein...

J’ai l’habitude de commencer mes billets par le début. Mais aujourd’hui, je préfère tout de suite vous dire que ça ne sera pas pareil avec notre invitée. Remonter les marches du festival de Cannes, cela vaut une primeur. Tout de même, vous serez servis avec une entrée de sélection à Cannes suivie d’un plat de vie à Paris et d’une construction humaine entre découverte personnelle et engagement en dessert.

« la sexualité féminine est très tabou dans notre culture »

Elle s’appelle Aicha Diaby, 28 ans, cadre dans la fonction d’État en France et mère de deux petites filles. Djénaba l’une des filles, ne cessera de bouger tout au long de cette interview téléphonique. Peut-être voulait-elle s’exprimer aussi sur l’activité de sa mère ? Je ne saurais vous en dire plus. Mais depuis l’Indonésie où la petite famille profite des vacances, notre invitée nous a parlé de sa présence au Festival de Cannes : « D’être sélectionnée pour quoi que ce soit à Cannes c’est déjà un truc de ouf. C’est encourageant, ça veut dire que mon film est prometteur et ça me donne envie de continuer ».  Mais quel est le titre du film qui rend si « Ouf » : Douleur silencieuse, De ce film qui traite des violences sexuelles intrafamiliales elle assure « ça vient d’histoires personnelles et sociétales » et raconte « J’avais une cousine qui s’était faite agressée par un de ses oncles qui était venu du bled. Nous les jeunes de la famille on s’était tous révolté. C’est la mère de ma cousine qui a fait taire la question parce que la sexualité féminine est très tabou dans nos cultures… J’avais échangé avec beaucoup de filles qui s’étaient faites agressées et sifflées. ça me paraissait important d’aborder le silence qu’on impose aux victimes. Et faire un film sur ce sujet était important, car pour moi le Cinéma demeure un puissant outil pour faire évoluer les mentalités »Voilà, vous savez à présent tout sur le film mais peu sur Aicha. Voyons…

« Dès le collège, je savais que je devais réussir »

Parisienne de naissance, c’est dans la capitale française qu’elle passera ses études. Issue d’un collège classé zone d’éducation prioritaire (ZEP) avec un taux de réussite de 20% au Brevet, « Dès le collège, je savais que je devais réussir. Je me suis dit nos parents ont galéré ici, la plupart sont des femmes de ménage ». C’est forte de cette ambition qu’« Après le brevet, je suis parti dans le lycée Carnot, changement d’ambiance totale… Je suis passée d’un collège où il y avait des Noirs et des arabes à un lycée où il n’y avait que des Blancs fortunés et j’étais la seule Noire ». Un choc social qu’elle a mis du temps à surmonter et l’affirme : « La première année, je voulais changer de lycée, ils demandaient du haut niveau. Mes 15 et 16 de moyenne du collège, ça ne valait pas. Je savais qu’il fallait bosser deux fois plus pour réussir ». (Djénaba fait des grimaces, d’un geste affectif de main, sa mère la dorlote). On peut continuer dit-elle en souriant. Ce qui nous permet de faire la transition vers les années universitaires où l’engagement et la passion cinématographique ont fait leurs entrées dans le coeur de Aicha Diaby.

« Je m’intéressais beaucoup à mes origines »

Comme un jeune en quête d’identité, « Pendant mes études d’histoire, j’ai décidé de me spécialiser en histoire africaine. Je m’intéressais beaucoup à mes origines ». C’est donc ainsi qu’elle s’est retrouvée à faire des études en histoire africaine à la Sorbonne et un master d’étude internationale et européenne à sciences po Grenoble. Son passage au lycée Carnot et ses différents choix d’étude ont renforcé son engagement qu’elle décide de matérialiser à travers le cinéma : « Après ma licence, j’avais lancé sur les réseaux sociaux une petite vidéo intitulée Welcome to Conakry. Cette idée m’est venue suite à mes différents voyages dans le monde. J’étais souvent interrogée sur mes origines et je disais : je viens de la Guinée. Ils rétorquaient : la Guinée Ebola ? Et moi ça me choquait et c’est là que j’ai décidé de faire une petite vidéo à Conakry avec le concept Welcome to Conakry pour montrer autre chose qu’Ebola ». Jamais un sans deux, la passion s’est très vite propagée l’amenant jusqu’à suivre « une courte formation avec le collectif Tribudom pendant 4 mois sur la réalisation cinématographique ». 

Cette étape est cruciale pour celle qui au fil du temps, développe un faible pour le cinéma qu’elle raconte comme une déclaration d’amour : « J’ai toujours aimé le cinéma. Je pense que ça vient de ma passion pour l’histoire. J’ai toujours été passionnée par le fait de raconter notre histoire. J’ai toujours été fascinée par le fait que malheureusement l’Afrique n’avait pas écrit son histoire. Je me suis dit aujourd’hui, il y a plusieurs façon de raconter notre histoire notamment à travers le cinéma et son aspect artistique pour changer les mentalités ». Remémorez vous, c’est de là que vient l’invitation à Cannes puisque « À la suite de la formation, il y avait un concours qui allait voir 3 scénarios qualifiés. Mon scénario a été sélectionné et il a été entièrement produit. » « Après la production, mon film a été envoyé au Short film Corner du Festival de Cannes » qui est un forum qui regroupe dans un catalogue, les court-métrages les plus prometteurs venus du monde entier à destination des producteurs, des acheteurs, des distributeurs qui sont au festival.

Si ses thèmes de prédilection restent« le cinéma africain ou la représentation des Noirs dans le cinéma Français », notre invitée nous confie être « entrain d’écrire le prochain long-métrage, si tout se passe bien, j’aimerais qu’il se déroule en Guinée. Si je dois le défendre en festival, j’aimerais le faire sous le drapeau Guinéen. » Par la même occasion, elle annonce qu’« en fin d’année, je compte me rendre en Guinée pour faire des projections débat et de rue de mon film douleur silencieuse dans les quatre régions de la Guinée ».