Arts et cultures : que nous reste-t’il des sonorités du Mandingue ? (Fatoumata Kouyaté)

Les sonorités africaines ont longtemps fait vibrer des générations entières. Aujourd'hui, entre appropriation culturelle et réalités actuelles, Fatoumata Kouyaté émet une interrogation.

C’est en réécoutant les magnifiques sonorités de l’album TINKISO de Mory Djely Kouyaté, en collaboration avec Jean Philippe Rykiel que j’écris ces quelques mots. Je découvre cet album et plusieurs autres Mandé donkililou, que nos griots ont rendu intemporels. L’histoire d’anciens royaumes qu’ils ont autrefois conté et chanté avec grâce, éloquence, talent et résilience. Ils sont nombreux : Mory Kanté, Kadé Diawara, Bako Dagnon, Kassé Mady, Kandia Kouyaté, Sory Kandia Kouyaté, Salif Keita…

Nous venons tous un peu à la musique du mandingue en profanes. Nous l’écoutons sans forcément en saisir la subtilité artistique, le message subliminal, l’histoire qu’elle relate, les conquêtes, l’amour, les défaites, les rapports sociaux. En Afrique, la musique occupe, au-delà de sa fonction mélodieuse, distractive, distrayante, une fonction historienne, éducatrice aux valeurs, formatrice et conseillère. Dans nos contrées, le griot qui chante les notes relate et justifie sa musique avec les faits de l’histoire, il s’en porte garant et doit le transmettre. Normalement, il laisse, avant sa mort, un assesseur qui se doit, fidèlement, de reprendre les techniques musicales ancestrales et de médiation sociale qu’il a apprises (…)

Cependant, après la séparation coloniale des territoires du mandingue, aucune réelle fédération d’artistes ne s’est concrètement créée pour protéger le griot et sa connaissance. Plus tard, les indépendances furent l’événement entérinant la dislocation de la musique mandingue. Désormais devenue orpheline, les artistes issus des territoires qui formaient l’ancien Mandé unique, se sentirent légitimes à reprendre intelligemment les codes, désormais legs communs qu’ils partagent tacitement. C’est pourquoi les mêmes mélodies sont reprises sans droit d’auteur particulier par tout chanteur qui parle Malinké, Soussou ou Bambara. Les bénéficiaires, autrement dit les mandékalou, se retrouvent ainsi en Guinée et au Mali principalement, mais aussi en Côte d’Ivoire puis au Sénégal.

En observant l’attention particulière accordée à la musique mandingue à l’international, on se pose la question de savoir pourquoi elle ne bénéficie pas du même traitement dans ce qu’il nous reste d’héritage immatériel. Certains de nos artistes bénéficient de Grammys Awards et autres récompenses prestigieuses émises à travers des scènes exotiques et ça passe lettre morte chez nous.

C’est inquiète d’un risque de perte mémorielle que je fais un retour aux sources pour me réapproprier ce qui, j’estime, me revient de droit en tant que descendante du Mandé. Le processus de réappropriation reste quelque peu laborieux, mais quel plaisir d’être consciente de l’enjeu identitaire et économique derrière les sonorités du grand Mandé.

L’instrument et l’histoire sont à la musique mandingue ce que le l’âme et le corps sont à l’être humain. D’excellentes muses comme la kora, le balafon, le djembé, la guitare traditionnelle… servent de refuge dans la recherche de la création spirituelle, la méditation, la médiation, l’empathie et l’humanisme. Avez-vous écouté Aly Farka Touré ou Bembeya Jazz pendant une création de l’esprit ? Ou bien avez-vous essayé avec Diarabi de Ami Koita, ou Mory Djely ? Essayez et vous serez choqué.e par le génie qui est ou a été le leur.

Ainsi, on ne s’en rend peut-être pas compte, mais les soubresauts historiques, le désintérêt ou le manque de politique efficace, sont à deux doigts de faire louper à la nouvelle génération (artistes comme consommateurs) les monuments musicaux aujourd’hui si méprisés. Non seulement parce que la nouvelle génération n’en maîtrise pas les codes, mais aussi parce que la conquête du mainstream et des sons à consommation rapide comme la pop, le R&B ou la variété actuelle, s’est démocratisée. De plus, ce n’est pas forcément dans l’agenda politique du gouvernement de revaloriser ni le legs musical, ni ses auteurs. Les artistes nouvelle génération, pour leurs parts, ne semblent pas non plus avoir un intérêt particulier à la sampler ou à la moderniser à l’image de Burna Boy, sur le son de Féla Kuti, ou Angélique Kidjo avec le son de Myriam Makéba.

Il serait donc intéressant de demander à nos États héritiers de ce Mandingue, où ils en sont dans la conservation et la valorisation de notre patrimoine culturel musical; à nos artistes quelle part de responsabilité ils assument; à la société plus généralement, qu’est ce qui explique le rejet et/ou la dévalorisations de nos œuvres, sur nos territoires ?

Je tenterai de répondre dans d’autres pensées. Vous pourriez, vous aussi, laisser en commentaire sous cet article ce que vous en pensez. En attendant, vos avis, je savoure le fameux Tinkiso de Mory Djeli.

Fatoumata Kouyaté, Communication politique, médias d’influence et lobbying, militantisme RSE.